La guerre avait été déclarée à Hyseth depuis seulement 48h et Nàlindë se préparait déjà à rejoindre la capitale d’Erogor afin de demander une alliance entre les deux royaumes si la guerre venait à s’intensifier. Aucun combat n’avait eu lieu et la reine n’avait pas même eu de réponse de la part de la famille royale elfique, mais il était important pour elle d’assurer la sécurité du peuple isodien. L’état de guerre n’avait pas encore été officialisé mais déjà les rumeurs allaient bon train dans la capitale et les autres grandes villes du royaume. Nàlindë souhaitait pouvoir faire cette annonce en affolant le moins possible les isodiens et prévenir toute révolte civile. Depuis la mort du roi quelques années auparavant, Nàlindë avait eu du mal à asseoir son pouvoir pourtant légitime par les liens du sang et un tempérament bien trempé, ainsi cette guerre pourrait être l’occasion pour ses détracteurs de prouver qu’elle n’était pas à la hauteur de la couronne. Pour montrer que ce n’était pas le cas la reine était prête à déployer tous ses talents. Pour ce faire elle allait faire appel à la sagesse d’un de ses plus vieux amis, qui avait même été son précepteur dans sa jeunesse et surtout essayer d’établir des liens avec le royaume dont la réputation militaire n’avait pas d’égal.

Pour se rendre jusqu’à Larmor la reine avait faire préparer tout un cortège de soldats, ainsi le voyage à travers Ysyngwen s’était-il plutôt passé paisiblement pendant dix jours. Lors de son périple la reine avait fait halte à Solensean et avait informé le conseil des sages qu’elle avait déclaré la guerre à Hyseth. La réaction du Médiateur avait été comme l’avait prévu Nàlindë tout à fait neutre.

Arrivée à Larmor, Nàlindë fut surprise de la différence d’architecture et d’atmosphère qu’il y avait entre les deux capitales. Ici tout était imposant. Que ce soit la taille des bâtiments, les lignes très marquées, la pierre brute liée aux clinquantes dorures ou qu’il s’agisse de l’attitude des habitants, pressés et conditionnés. Le cortège isodien pénétra bientôt dans la cour du palais impériale. Un domestique aida Nàlindë à descendre de voiture puis elle fut accompagner par toute une suite devant la salle du trône où devait l’attendre Keith Wymond. Pour cette mission de la plus haute importance la reine avait revêtu l’une de ses plus belles toilettes faite de satin carmin incrustée de fils d’or et de pierreries. Une rivière de diamant autour du cou et ses cheveux raides sur ses épaules la reine attendait dans l’espoir de faire bonne impression à un empereur réputé dur et déterminé.

En dépit des deux nuits blanches passées à statuer sur les évènements passés et futurs, concernant l’inattendue déclaration de guerre d’Isodia, l’empereur d’Erogor ne s’était plus sentit aussi vivant depuis bien longtemps. La puissance militaire de l’Empire commençait à devenir une source de problèmes, tous ces militaires et ce matériel dernier cri revenant chers à entretenir. De plus, un pays inactif est un pays en déliquescence, aussi puissant soit-il. Il était grand temps de se lancer dans quelque chose d’immense, qui permette à l’Empereur de réaffirmer sa force et éventuellement d’agrandir l’Empire. Toutefois, Keith était impressionné par la volonté de cette reine qui, si peu de temps après son élévation au rang de seule et unique dirigeante du royaume d’Isodia, osait défier la puissance séculaire elfique. Ces derniers, malgré leur tendance à la paix et la neutralité, n’en seraient pas moins de vaillants adversaires, surtout sur leur propre terrain. Ces sylvains sont en effet capables de commander à la nature dans une certaine mesure. De plus, les tout derniers rapports semblaient prédire une alliance militaire entre Noldan et Hyseth.

C’est pourquoi l’Empereur Wymond s’était réuni avec son état-major, composé des plus grands stratèges du royaume, afin de se livrer à plusieurs simulations de conflit. Plusieurs solutions avaient été envisagées. La première consistait à apporter le soutien de l’Empire aux elfes, afin de mettre à mal la plus grande puissance maritime d’Aedenia, et se rapprocher ainsi de la suprématie militaire. Les elfes, reconnaissants, auraient pu faire profiter à Erogor de leur savoir faire. Néanmoins, c’est sans aucun doute Noldan qui aurait absorbé les territoires du vaincu, devenant ainsi les seuls et uniques maîtres des côtes d’Aedenia, et déplacer les troupes impériales au travers d’Ysyngwen se révèlerait coûteux. L’autre solution serait de s’attaquer aux elfes, afin de soutenir Isodia sur un front, tout en lui fournissant vivres et bois pour la soutenir dans son combat contre Noldan. Les pertes seraient alors bien plus grandes, la bataille plus âpre, mais permettrait en cas de victoire à Keith d’agrandir son Empire en incorporant l’Hyseth, et de s’assurer le soutien des Nains qui pourraient ainsi rejoindre leurs cousins.

L’empereur, vêtu d’un long manteau bleu tressé d’or, coulant jusqu’au sol, et d’une légère chemise blanche en dessous laissant deviner sa musculature de guerrier, observa longuement la fière souveraine d’Isodia, royaume avec lequel les relations d’Erogor ont toujours été des plus amicales. Il faut dire que la reine plaisait beaucoup à l’empereur, et qu’il était de plus envisageable que sa fille s’unisse un jour à son propre fils aîné. De plus, l’équilibre qui maintenait jusqu’alors la stabilité d’Aedenia n’aurait pas été possible dans les conditions actuelles, sans le soutient d’Erogor.

L’Empereur inclina la tête dans un geste déférent à la présentation de son auguste interlocutrice. Il avait déjà arrêté sa décision : il rejoindrait Isodia dans son alliance, si sa reine consentait à le lui demander.

« Ma journée se voit illuminée par votre sublime présence, noble Reine. J’ose espérer que le voyage jusqu’à mon humble palais n’aura pas été trop inconvenant.»

Le ton mielleux, presque innocent que l’Empereur employa n’avait d’autre but que de dissimuler à Nàlindë l’agitation que ses actions déclenchaient à l’autre bout d’Aedenia. L’une des règles dans l’art de la diplomatie est de savoir se situer dans le débat. Keith avait la ferme intention de retirer de cette alliance le plus de pouvoir possible, et il se montrerait des plus intransigeants. C’est pourquoi il laissait à la Reine d’Isodia la responsabilité de faire le premier pas.

L’empereur Wymond était assis dans son trône et bizarrement l’impératrice ne s’était pas jointe à lui, préférant rester dans l’ombre d’un coin de l’immense salle. Cette configuration déplaisait beaucoup à Aurore qui y voyait quelque chose de malsain mais il n’était pas temps pour elle de s’attarder sur ce genre de problèmes futiles. La reine s’avança de son pas décidé jusqu’au trône salua comme le protocole l’exigeait l’empereur d’une révérence puis se tourna pour effectuer la même démarche cette fois en direction de l’impératrice. Keith fit de même et reçut la reine avec le ton le plus cordial qui soit. Nàlindë fut ravie de cette attention, à vrai dire elle n’en attendait pas moins, mais elle savait qu’il s’agissait d’une astuce de rhétorique de la part de l’empereur qui était réputé pour être un adversaire coriace également dans ce domaine. Nàlindë quant à elle était loin de l’égaler et dans tous les cas le plus important pour elle était d’obtenir une réponse positive à sa requête dut-elle s’écraser face à lui.

« Merci pour cet agréable accueil puissant Empereur. Notre voyage fut des plus rapides, vous comprendrez que la situation dans laquelle je me suis mise est une situation d’urgence, c’est pourquoi nos haltes étaient très courtes. Ma foi ce sont certainement mes hommes qui ont souffert le plus de ce rythme… »

Nàlindë jeta des coups d’œil successifs à l’empereur et à sa femme. Tandis que Keith avait affiché un sourire amusé, Conor la regardait toujours d’un air sceptique de l’autre bout de la pièce. La reine détourna le regard et se racla la gorge avant de commencer à parler.

« Je sais que vous êtes au courant pour la déclaration de guerre que j’ai faite à Hyseth… Je m’incline d’ailleurs devant la rapidité et l’efficacité de vos renseignements… Et si j’ai fais moi-même le déplacement d’Eralind jusqu’à Larmor c’est pour vous proposer une alliance entre nos deux royaumes dans les sombres jours qui s’annoncent… Sombres surtout pour Isodia, bien entendu… »

L’empereur la regarda sans sourciller, affichant cette fois ci un air plus grave. Nàlindë savait qu’à cet instant précis l’empereur était en pleine réflexion, pesant les pours et les contres de l’alliance et cernant ce qu’il pourrait essayer de soutirer à la reine. Nàlindë savait que pour obtenir l’acceptation de sa demande elle devait pouvoir présenter à Keith tout ce qui était susceptible de l’intéresser. Terres, commandement, ressources, savoirs et techniques…

« Bien sûr nous trouverons un terrain d’entente pour les compensations… Vous n’ignorez pas qu’Isodia possède la meilleure flotte de tout Aedenia, des connaissances sans faille dans ce domaine, des hommes formés et performants, une ouverture exceptionnelle sur le grand large… »

Décidément, sa majesté Rhendav ne cessait de montrer la force de son caractère. Keith ne pût réprimer un regard mauvais à l’encontre de l’Impératrice, Conor Wymond, dont la place, à ses yeux, n’était pas ici. Son mariage avait été le lien forgé entre leurs deux familles, dont le but était de maintenir la stabilité de l’Empire, mais leurs relations sont toujours restées très formelles. Au moins cette dernière lui avait-elle donné des héritiers. Adoptant le style plus direct de sa somptueuse interlocutrice, Keith se lança dans le bras de fer qui déciderait de l’avenir de tout Aedenia, du moins dans une mesure assez proche.

« J’ai en effet eu vent de cette triste histoire. Erogor et Isodia ont toujours étés en bons termes, jusqu’à aujourd’hui. La plupart des contrats entre nos deux pays ont été honorés, nous n’avons encore jamais eu à regretter votre montée au pouvoir. Vous êtes néanmoins conscientes de la fragilité actuelle de votre position : sans le bois d’Hyseth, comment serez-vous en mesure d’entretenir votre flotte ? Il est de plus difficile de mener une offensive sur un territoire aussi éloigné, sans compter l’intervention des autres puissances Aedeniennes… Je pourrais très bien être tenté de me joindre à la coalition qui se prépare en ce moment même, d’autant qu’il en coûte d’irriter ces charmants forestiers. »

Tandis que l’Empereur s’acharnait à faire monter la pression, sa femme, prise d’une subite sympathie pour la Reine d’Isodia, femme de pouvoir au fort caractère, représentant ce que la position de son mari lui interdisait, décida d’intercéder en sa faveur, de la façon la plus déstabilisante.

« Mais voyons, mon cher mari, vous savez aussi bien que moi qu’il est hors de question pour vous de perdre un allié aussi précieux qu’Isodia. Notre armée, à l’heure actuelle, est aussi à l’aise en mer qu’une flottille de cailloux, et si le Noldan annexait Isodia, vous seriez bien obligés de leur manger dans la main. Vous n’avez d’autre choix que d’accorder à sa majesté ici présente tout ce qu’elle exigera de vous ! »

S’en était trop pour l’Empereur, véritablement outré de l’impudence de son épouse. Dans un brusque éclat de colère, il s’écria :

« Silence, femme ! Tu n’y connais rien en politique, comment saurais-tu ce qui est profitable ou non à un empire ?! »

« J’en sais bien assez sur toi pour savoir lorsque tu fais preuve de mauvaise foi ! Pendant que tu t’amuses à jouer au chef avec ton armée, il faut bien que je m’occupe, et si tu voulais une femme soumise, il fallait te garder de mettre à sa disposition autant de moyens de s’émanciper ! Si tu commençais par ranger ta salle du conseil ? Avec tous ces rapports confidentiels concernant la guerre que tu prépares depuis deux jours que tu laisses négligemment traîner, il fallait bien t’attendre à des fuites ! »

L’affront mis tout d’abord Keith dans tous ses états, qui se crispa comme une bête féroce prête à bondir sur sa proie. Puis, subitement, il se calma, pris un air penaud puis s’excusa de la rudesse de son ton à l’égard de sa femme, arguant qu’il ferait désormais plus attention à ne pas laisser traîner ses affaires. Dans un sourire carnassier, il ajouta que par soucis de sécurité, il allait désormais déplacer les appartements de l’impératrice dans une autre aile du palais, réservant celle-ci à des fins militaires. Enfin, il la congédia d’un geste qui ne laissait aucune place à la désobéissance. Se tournant de nouveau vers Nàlindë, il ajusta la tiare impériale pour se donner une contenance, et repris les négociations.

« Je suis désolé du triste spectacle auquel vous venez d’assister. Tout ceci est d’ordre privé et ne devrais pas interférer dans les négociations. Il est toutefois vrai que l’Empire d’Erogor est tout à fais disposer à coopérer avec Isodia, à condition d’y trouver avantage. C’est pourquoi nous réclamons l’exclusivité sur les échanges du bois, anciennement accordée aux elfes. Nous sommes de plus prêts à vous fournir des armes et des montures pour organiser votre offensive terrestre. Nous ne pouvons cependant faire plus sans briser la neutralité qui maintient la stabilité du continent. Ce sera donc à vous de nous convaincre de nous impliquer, si implication il doit y avoir, et de définir le prix que vous accordez à la puissance Erogorienne.

L’impératrice était restée retirée pendant tout le début de la négociation et très subitement avait complètement changé d’attitude en s’impliquant dans le débat, et qui plus est en prenant parti pour Nàlindë. Celle-ci fut à la fois surprise et suspicieuse d’une telle démarche… Néanmoins, tout appui en sa faveur était le bienvenu, c’est pourquoi la reine ne put s’empêcher d’afficher un sourire rayonnant lors de l’intervention de Conor, d’autant plus que la scène de ménage entre les deux époux impériaux était un franc divertissement.

« Je crois que madame l’impératrice vient de soulever un point tout à fait intéressant, même si elle ne connait rien à la politique selon vos dires… »

Suite à cela, Nàlindë écouta avec beaucoup d’attention la proposition que lui faisait Keith, elle n’en perdit pas un mot et analysa le moindre des termes qu’il employa. Une flamme de malice s’alluma dans les yeux de la reine.

« Très cher Keith… C’est évident que vous trouverez un avantage à cette transaction… Tout d’abord, je suis tout à fait prête à vous céder l’exclusivité du bois car je ne trouverai de toute manière aucun autre partenaire maintenant. En ce qui concerne le fait que vous nous fournissiez des armes et des montures… C’est vrai que tout cela sera la bienvenue même si vous restez neutre dans ce combat, mais sachez que si vous restez sur cette position, en contrepartie de votre don Isodia est prête à vous offrir, enfin, mettre à votre disposition vingt de nos plus beaux vaisseaux pour vos conquêtes dans l’Outre-mer… Mais évidemment cela s’arrête là, nous ne fourniront rien d’autre… En revanche, si vous décidez d’impliquer réellement Erogor, nous serions à ce moment là disposés à remplir les navires d’un équipage compétent, d’accueillir les bateaux dans nos ports, de former une poignée de vos hommes dans notre très prestigieuse université des métiers de la marine et peut être même plus… »

Tout en finissant cette phrase, Nàlindë fit signe à une des courtisanes de Conor de venir jusqu’à elle. Le visage pâle de la jeune femme s’empourpra légèrement puis elle avança lentement vers la reine d’Isodia. Lorsqu’elle fut assez proche d’elle, Nàlindë lui glissa de manière non discrète à l’oreille…

« Peut être qu’un jour Isodia sera amenée à découvrir elle-même de nouvelles terres émergées… Vous savez, nous serions très heureux de pouvoir y planter notre drapeau… »

L’offre d’Isodia était relativement intéressante, mais laissait tout de même l’Empereur assez perplexe. En effet, si Erogor envisageait de monter une flotte, cette dernière serait totalement tributaire de la Reine, étant donnée la position géographique de l’Empire. D’une certaine façon, cela reviendrait pour ainsi dire à une simple location, étant donné qu’il faudrait stocker et entretenir le matériel, et que la découverte de nouvelles terres serait subordonnée au bon vouloir du Royaume. Qui plus est, les restes du Noldan, même en cas de défaite, défendraient âprement les routes maritimes, rendant la tâche difficile aux hommes de l’Empereur. Non, ce dernier désirait quelque chose de plus solide. L’idée d’obtenir un accès à l’Océan était alléchante, mais il faudrait plus que cela pour mettre la stabilité d’Aedenia en péril.

« Certes, noble Reine, le savoir faire d’Isodia dans ces domaines est sans pareil, et nul doute que votre aide serait des plus précieuses… Néanmoins, nous dirigeons un empire terrestre, dont le seul accès à la mer traverse deux pays, dont l’un relativement instable politiquement. Pour pallier à cet inconvénient, je ne vois qu’une solution : concéder à l’Empire d’Erogor un port, qu’il s’agisse de l’un des vôtres, ou de ceux de nos
adversaires. Ou alors… Peut-être serait-il plus avantageux d’envisager, disons... Une redistribution des frontières ? Vous comprenez, en pensant à vous, dans votre si petit pays, ne méritez-vous de plus vastes territoires ? Pour ma part, l’approvisionnement en bois serait plus aisé si l’Empire disposait de quelque droit sur les forêts d’Hyseth. D’autre part, nos amis, braves Nains, forgerons d’exception, ont de lointains cousins vivant reclus à l’orée du territoire elfe. Ce ne serait que leur rendre justice de leur permettre de se réunir de nouveau… »

Autrement dit, l’Empire ne s’engagerait dans la bataille que si la victoire lors de cette dernière engageait une rémunération substantielle en terres. Les elfes ne se laisseraient surement pas bouter hors de leur forêt séculaire, mais sans doute seraient-ils prêts à des concessions s’ils la voyaient menacée de disparition. S’assurer l’appui des Nains était essentiel en de telles circonstances, car seules leurs fabuleuses armures pourraient protéger les soldats impériaux de la magie sylvestre. En outre, Noldan disposant d’unités très mobiles, et d’une frontière commune avec Hyseth, il fallait s’attendre à de nombreux renforts de ce côté-ci, tandis qu’Erogor serait seul.

« Enfin, j’ose espérer qu’une telle implication de notre part, à savoir, pour parler clairement, le fait de prendre part aux affrontements et d’écraser Hyseth, renforcera les liens entre nos deux nations, que nous pourrions officialiser par des épousailles. Vous n’êtes pas sans savoir que notre fils aîné rêverait de se voir accorder la main d’une princesse de la trempe de votre fille adorée. »

Tout en prononçant ces paroles, Keith envisagea la possibilité de se montrer moins exigeant, dans le souci de ne pas froisser cette Reine qui déclarait d’un coup de sang la guerre à toute personne s’opposant à la croissance de son Royaume. Si cette dernière se montrait raisonnable sur les autres points, sans doute Keith tolèrerait un refus sur le mariage, d’autant que ses fils ne seraient pas de trop pour se rabibocher avec la famille elfique à la fin des conflits.

La reine écarta d’un geste du bras la courtisane qui était auprès d’elle et s’avança un peu plus vers le trône de l’empereur.
Nàlindë avait bien proposé des offres à Keith en échange de son soutien actif dans la guerre contre Hyseth mais l’empereur était à la hauteur de sa réputation, à savoir un ferme négociateur ! Les offres les plus alléchantes, il les avait repoussées d’un revers de manche… La reine était quelque peu déconcertée par la tournure que prenaient les négociations, néanmoins elle voulait conserver, à défaut de faire preuve de hargne, une expression fermée. Ainsi, elle écouta le discours de l’empereur sans dire mot.

« Il est vrai que le redécoupage des frontières d’Aedenia est peut être plus intéressant pour nos deux nations… Si vous pouviez récupérer une partie d’Hyseth, il pourrait aller de même pour Isodia et peut être même nous étendre vers Noldan… Néanmoins, je pense qu’il faut d’abord voir où nous mènera cette guerre avant de nos aventurer dans un partage du monde à la Yalta, en effet nous risquerions fort d’être déçu… Tout ce que vous devez savoir est que je ne vous décevrai pas et que nous serons trouver un arrangement qui vous sera profitable. »

Nàlindë était sincèrement tout à fait d’accord avec l’empereur sur le partage des terres en cas de victoire, cependant l’évocation du mariage de sa fille Priellan la mit mal à l’aise. Priellan était ce qu’elle avait de plus cher au monde depuis la mort de son mari, surtout que ce mariage, même s’il avait été convenu et arrangé avait finalement été un mariage d’amour. Nàlindë ne souhaitait pas la marier avec le premier venu car elle voulait que sa fille connaisse exactement le même bonheur qu’elle. L’altercation entre l’empereur et sa femme était également un bon exemple de mariage arrangé qui menait à l’échec.

« Je ne peux rien promettre pour les épousailles, en revanche rien n’empêchera une rencontre entre nos enfants… »

D’un autre côté il était tentant de promettre Priellan au fils aîné car la reine savait que la famille de Lyndorn avait elle aussi une fille à marier et Nàlindë ne voulait surtout pas que Noldan hérite des terres erogoriennes.

Après quelques instants de réflexion, Keith trouva l’accord raisonnable. Déjà son esprit retournait aux problèmes matériels qu’il allait devoir résoudre pour permettre la mise en place et l’approvisionnement de son armée. Il enverrait sans aucun doute quelques régiments de ses Chevaliers Lourds, des combattants d’élite lourdement protégés et totalement dévoués, qui s’avèreront utiles pour défendre les frontières terrestres d’Isodia. De nombreux messagers se tenaient déjà prêts à délivrer leurs instructions aux quatre coins de l’Empire, sur le moindre signe de Keith, qui avait soigneusement préparé cette situation. Il allait falloir être extrêmement prudent, et cette guerre, si elle persistait, serait sans doute une des plus meurtrières de l’histoire d’Aedenia. Les elfes tenant à leurs forêts comme à des enfants, ils feront tout pour la protéger, tandis que le but évident du Noldan serait sans aucun doute d’annexer entièrement le territoire d’Isodia. Si le Royaume cédait, l’Empire serait alors désemparé, seul contre pratiquement toutes les forces armées du Continent. D’un autre côté, une victoire lui permettrait de s’agrandir et de renforcer les liens qui l’unissent aux Nains. Il existe en outre de nombreux matériaux, au cœur de la forêt d’Hyseth, très convoités par les forgerons du monde entier pour leurs propriétés d’extraordinaire légèreté et perméabilité aux renforcements magiques.

Il subsistait cependant un autre problème : une telle guerre ne pourrait être remportée sans le soutient des mages les plus puissants de l’Empire, et toute l’aide qu’apportera Isodia sera la bienvenue. Les elfes sont réputés pour être d’excellents magiciens, sans parler des spécialistes Noldans. Or, si les syndicats magiques de l’Empire restaient officiellement sous l’autorité de l’Empereur, ils bénéficiaient d’un statut particulier qui pourrait poser problème dans le cadre des prochaines batailles.

*Les mages et leurs foutues politiques de non-agression… Ils seront bien obligés de nous soutenir lorsqu’ils verront de quoi nos adversaires sont capables, et à quel point ils savent se montrer impitoyables. Dans tous les cas, j’espère que notre nouvelle arme secrète sera au point rapidement…*

Se tirant de ses réflexions, Keith s’adressa directement à la Reine Nàlindë :
« Je pense que votre décision sera des plus bénéfiques à nos deux puissances. Je suggère que nous discutions ultérieurement les termes exacts de notre Alliance, à tête reposée. Je ne puis néanmoins trop vous conseiller de commencer à recruter le plus possible. En effet, aussi vaillants que soient vos Isseans, vous risquez de peiner à tenir contre l’armée de terre de votre voisins. Nous vous enverrons dès que possible des troupes pour vous soutenir, de façon à vous permettre de concentrer votre force sur votre terrain de prédilection. Toutefois, de nombreux héros parcourent, anonymes, les terres d’Aedenia. Il serait donc judicieux d’en rassembler dès à présent le plus grand nombre, pour nous soutenir dans notre combat. En somme, en sus d’une armée, le meilleur moyen de bénéficier de renforts déjà entraînés consiste à vous dégotter de solides mercenaires. C’est pourquoi il est impératif de publier des annonces dans toutes les villes, d’envoyer des émissaires à travers le pays, et de rassembler le plus d’alliés possibles.

Sur ce, Noble Reine, je suggère que nous nous restaurions tous, afin de reprendre des forces. Nous pourrons remettre cet entretien à plus tard. »